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Esther Nsapu

Photojournalist & Videographer
    
Les Oubliés de Lwiro
Public Project
Les Oubliés de Lwiro
Copyright Esther N'sapu 2024
Updated Nov 2024
Topics History, Journalism, Photography
Summary
Depuis plusieurs années mes souvenirs d’enfance de Lwiro me hantent. C’était le village de mes grands-parents maternels et j’y ai passé quelques-uns de mes meilleurs moments. Lwiro est un village de la province du Sud-Kivu, situé à environ 40 kilomètres au Nord-Est de la ville de Bukavu en République démocratique du Congo. Sans m’en rendre compte nous jouions dans une oasis de savoir, au milieu des vieux livres, des serpents et autres animaux conservés au Centre de Recherche en Sciences Naturelles (CRSN) de Lwiro, construit en 1947 à l’époque coloniale soit treize ans avant l’indépendance. 

Un centre de recherche en géophysique, en botanique, nutrition médicale et environnement datant de 75 ans mais qui est quasiment resté dans son état original malgré les affres qu’a connu cette partie du pays. Encore peu connu du grand public, ce centre attire régulièrement des curieux, des chercheurs et parfois des touristes souhaitant découvrir ce patrimoine unique. 

Voisin du parc National de Kahuzi-Biega, ce centre historique qui regorge plusieurs curiosités est tout simplement magnifique et l’architecture y est étonnante. En effet de grandes allées bordées d’arcades relient plusieurs bâtiments séparés par des jardins et des bassins dans lesquels nous pouvons voir des poissons. Sous d’autres cieux, ce lieu pourrait faire penser à une hacienda espagnole.

Le CRSN compte à ce jour plusieurs travailleurs repartis dans différents domaines. Beaucoup d’entre eux sont des enfants issus du territoire de Kabare et du village de Lwiro au Sud-Kivu. Certains travailleurs ont connu l’époque colonial. Ils nous racontent leurs plus beaux souvenirs et ce qu’ils espèrent de leur avenir. 

Honoré, Joseph et Molo, trois travailleurs de l’époque colonial  

Le Centre de Recherche en Sciences Naturelles de Lwiro (CRSN) regorge encore une dizaine de travailleurs qui ont connu l’époque colonial. Honoré, Joseph et Molo sont parmi les rares personnes qui ont travaillé avec des colons-belges au CRSN vers les années 1950. Au-delà de ses 87 ans, Molo est encore jardinier. Quant à Joseph 77 ans, il est serveur (barman) à la Guest-house du CRSN de Lwiro.

Ces « Mushamuka » (sages en français) apprécient toujours se réveiller très tôt le matin malgré la fraîcheur pour aller travailler au CRSN. Leur charisme et leur amour pour ces lieux m’ont donné la curiosité d’aller fouiller dans leur vécu au sein de ce centre où ils ont passé la plus grande partie de leur vie avec leurs familles. En effet, quel est ce fil qui les retient à cet endroit ?

Né en 1936 à Katana au Sud-Kivu (RDC), Molo Ciza est marié et père de vingt enfants. En 1954 il a été engagé comme jardinier au Centre de Recherche en Sciences Naturelles de Lwiro (CRSN) alors qu’il n’avait que 18 ans. D’après Molo, c’est grâce aux colons-belges qu’il a appris à jardiner. Il se rappelle encore de son tablier de couleur kaki qu’il portait pendant qu’il plantait des fleurs dans le jardin du CRSN. Il a travaillé comme jardinier pour une vingtaine de belges qui travaillaient au CRSN Lwiro. 

« Je n’oublierais jamais comment nous étions payés chaque quinze et trente du mois. Je recevais 20 franc belge en plus de la nourriture pour ma famille. A chaque fois que ma femme accouchait, le Muzungu (belge) offrait à ma femme et à l’enfant des vêtements, des chaussures et plein d’autres cadeaux en signe de gratitude et d’encouragement. C’était la belle vie ! Grâce à mes économies, j’ai acheté plusieurs hectares de champs que je possède encore aujourd’hui. Ce sont des souvenirs que je garde encore au plus profond de mon cœur ». M’a raconté Molo. 

Molo se rappelle encore comment il a appris à mémoriser les noms des différentes fleurs pendant qu’il n’avait jamais appris cela à l’école auparavant. Comme les belges ramenaient des semences de fleurs de la Belgique, Molo étaient censé les planter dans le jardin de Lwiro. Ils se souvient encore des dahlias, des agapanthes, des tournesols et des roses qui sont encore visibles dans le jardin du CRSN. 

De nos jours, être serveur dans un restaurant ou dans un bar est signe d’échec. C’est un métier méprisé et sous-payé. Mais pas pour Joseph qui est très fier de son métier. Pour lui, les années cinquante et soixante ont marqué son esprit. Il se souviens qu’à cette époque-là, il n’y avait pas la guerre ni l’insécurité. Il pouvait se balader tard la nuit pour prendre une bière avec ses amis sans aucune crainte.

« Les patrons belges étaient fiers de moi car j’étais courageux. J’étais même recommandé plusieurs fois auprès d’autres Muzungu (belge) du CRSN lorsque le précèdent partait. Ils avaient confiance en moi. Être serveur me permettait de croiser plusieurs personnalités belges qui étaient de passage à la Guest House de Lwiro. Un endroit où des hôtes belges pouvaient passer du temps à discuter autour d’un verre de cognac ou encore du whisky. Et je rentrais à la maison une fois qu’ils avaient fini de boire. Je racontais ma journée à ma femme qui ne pouvait pas se coucher avant mon arrivée. L’argent que je gagnais à l’époque (20 franc belge) en tant qu’Attaché de Bureau de Première classe (ATB1) m’a permis d’acheter une ferme à Mwanda dans laquelle je garde des vaches jusqu’à aujourd’hui. Cette ferme est à ce jour une source de revenus pour mes vingt-cinq enfants et leurs familles ». Nous a confié Joseph.

Des difficultés après l’indépendance 

Pour Molo et Joseph la vie après l’indépendance a complètement changé. Notamment en raison des guerres et des conflits qui ont ravagé le pays notamment le Kivu. Depuis ce temps-là, ils ne se sentent plus valorisés comme c’était le cas auparavant. Par exemple, ils n’ont plus droit aux soins médicaux, au frais de logement, aux heures supplémentaires et même aux allocations familiales. Pour Molo, c’est depuis l’année 1960 qu’il n’a plus acheté même un hectare de champ. Les avantages sociaux auxquelles il bénéficiait et qui lui permettait d’économiser son solaire ont été supprimés par l’Etat congolais. Le peu d’argent qu’il gagne suffit tout simplement à lui payer les soins médicaux car sa santé commence à s’affaiblir.  

Avec la hausse du coût de vie actuel, Honoré, Molo, et Joseph tentent de survivre avec 350.000 franc congolais soit (172$) le mois. Et pour les avoir, les trois vieillards sont obligés de parcourir le trajet Katana-Bukavu soit plus de quarante kilomètres en moto taxi bravant les risques d’accidents ou de se faire voler. 

Malgré cela et leur grand âge, Honoré, Molo et Joseph continuent à se présenter au CRSN pour travailler. Molo se promène toujours avec ses ciseaux et un sac plastique contenant des graines de fleurs qu’il ramasse dans la forêt pour les replanter au CRSN. Dans la poche de sa veste, une vieille pièce de 20 franc belge qu’il montre à certains visiteurs qui passent au CRSN. Quant à Joseph, ce dernier passe ses journées au centre en attente de servir des visiteurs et des touristes qui passent de temps en temps visiter le jardin de la Guest House pour prendre une bouteille de bière ou un verre de Fanta. Ce fut son seul métier dans sa vie mais ce métier lui a donné du respect dans son entourage et dans son village. 

Lwiro m’a vu grandir

Dans les années 2000, moi, mes frères et sœurs passions nos vacances de Noël chez mes grands-parents maternels au quartier Bakalani à Lwiro, un des quartiers du village construit et aménagé pour les employés du CRSN durant l’époque coloniale. Avec ma grand-mère j’ai appris me lever très tôt le matin pour l’accompagner aux champs et nous rentrions avec des patates douces et des légumes frais pour manger à midi. Des beaux souvenirs que je garde encore dans ma mémoire. 

Mon défunt grand-père Gilbert Lambasha, surnommé « H-Lupala » était menuisier à Lwiro. Il y était dès la construction du CRSN en 1947. Il a contribué à la fabrication des meubles qu’on retrouve encore aujourd’hui dans différents bureaux du CRSN notamment dans l’étonnante bibliothèque mais aussi dans la Guest house entièrement aménagée avec des bois locaux.

A ce jour, ces lieux gardent encore le décor et les accessoires des années cinquante. Le manque d’entretien et de rénovation rendent ces lieux anachroniques. Ici, nous sommes hors du temps. J’imagine mon grand-père travailler le bois pour donner à ses créations les formes voulues par les colons belges. Mon grand-père a également contribué à la formation de plusieurs jeunes qui voulaient apprendre la menuiserie. Un modèle pour les habitants de Lwiro témoigne Désiré Mugaruka, responsable de la bibliothèque du CRSN. 

Je me rappelle encore des jeunes élèves originaires de Lwiro qui quittaient Bukavu, Goma ou encore Bujumbura la capitale du Burundi pour participer à des tournois de basketball et de football pour fêter leurs retrouvailles. 

Pendant les week-ends, je voyais des jeunes vacanciers se donner rendez-vous dans les couloirs du CRSN considérés comme un espace où ils pouvaient discuter librement au calme tout en écoutant les bruits des oiseaux et ceux des chimpanzés sauvés du braconnage. 

C’est dans ce centre de recherche où j’ai pour la première fois assistée à un spectacle culturel organisé par des jeunes, où deux écoles secondaires se donnaient rendez-vous pour parler de paix, chanter l’amour du prochain, danser la rumba et où les jolies filles du village pouvaient exhiber leurs belles tenues traditionnelles. Bref on s’amusait ! Tout cela me donnait envie de retourner à Lwiro pour les vacances. 

Par Esther N’sapu


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Les Oubliés de Lwiro  by Esther N'sapu
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