Marie Magnin

Photojournalist

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Chez Totor, à la croisée des solitudes

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CHEZ TOTOR, A LA CROISEE DES SOLITUDES

(depuis 2018)

C’est un rendez-vous que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître. On y vient pomponné, bien sapé, le dimanche après-midi, c’est bal musette Chez Totor, dans la petite commune de Publier, en Haute-Savoie. Rompre l’isolement du temps qui passe, draguer pour snober les années, danser pour surmonter le deuil, se rencontrer et s’aimer. Ces seniors le disent tous, Chez Totor, c’est la famille. Une histoire de famille, démarrée en 1962. Un simple juke-box d’abord, et peu à peu l’étable familiale est muée en thé dansant à succès. Victor Maurice, alias Totor, est le plus ancien gérant de dancing en France. Il a même été honoré d’une médaille de la SACEM. Après 57 ans d’activité, il vient pourtant de passer la main à sa fille Nathalie. La relève est assurée, mais les jeunes boudent le bal musette. La clientèle peine à se renouveler et le rendez-vous dominical de Chez Totor pourrait bien s’éteindre avec ses derniers habitués.

Victor Maurice, alias Totor, 7...p;egrave;s-midi depuis 57 ans.

Victor Maurice, alias Totor, 78 ans, accueille ses clients personnellement tous les dimanches après-midi depuis 57 ans.

Il y a, dans ces pas enchev&am...que dimanche, de se retrouver.

Il y a, dans ces pas enchevêtrés, dans ces mains enlacées, dans ces regards croisés, de l’amour de la danse, de l’amour tout court, de la séduction, de l’amitié aussi. Et cette sensation rassurante, chaque dimanche, de se retrouver.

Quelques années apr... rompre la solitude."

Quelques années après le décès brutal de son mari, Colette, 81 ans, a poussé la porte de Chez Totor, motivée par sa kiné qui voulait la voir sortir de sa solitude. C’était il y a six ans, elle ne connaissait personne. "Ce n’était pas facile, parce que c’est un peu une famille dans laquelle il faut rentrer. Mais aller Chez Totor, c'était une manière de rompre la solitude."

Roland : "C&rsquo...amp;egrave;s gentil."

Roland : "C’est elle qui m’a dragué."

Colette : "Oh ce n’est pas vrai, je n’en voulais pas !"

Qu’est-ce qui vous a fait craquer alors ?

"On est le jour et la nuit tous les deux, mais il est très gentil."

Bernard est un ami de longue d...quo;est une copine !"

Bernard est un ami de longue date de Totor et fréquente son thé dansant depuis ses débuts. "Je suis séparé de ma femme depuis huit ans. Je viens Chez Totor uniquement pour draguer, mais ce soir, il n’y a rien à draguer. Michelle ? C’est une copine !"

Michelle danse plusieurs fois ... régale !"

Michelle danse plusieurs fois par semaine, dans d’autres thés dansants de la région. "Quand on voit un jeune arriver, c’est un jeune retraité. Chaque danseur a ses petits trucs, il faut s’adapter. Les bons danseurs, qu’ils soient beaux ou laids, peu importe, je me régale !"

Bernadette, 82 ans : "J’ai toujours aimé danser. Mon père était musicien, il jouait dans un orchestre clandestin pendant la guerre, alors quand j’étais petite, on roulait les tapis pour danser. Ma mère me disait : le pire qui pourrait t’arriver serait de tomber sur un homme qui ne sait pas danser. Et bien c’est exactement ce qui s’est passé !"

Raymond, le mari de Bernadette...éguisée.

Raymond, le mari de Bernadette, a appris à danser Chez Totor. Quand il s’est éteint, après 32 ans de vie commune, Bernadette a continué à aller Chez Totor. Et c’est là qu’elle a craqué pour le second amour de sa vie, avec qui elle a vécu 25 ans. "Baptiste était un très bon danseur, c’est comme ça qu’il m’a piégée !" Sur la photo, Bernadette et Baptiste, aux côtés de Totor lors d’une soirée déguisée.

Depuis le décès de Baptiste il y a cinq ans, Bernadette a du mal à retourner dans ce lieu qu’elle considérait comme son petit paradis. Trop de souvenirs, trop douloureux. "Chez Totor, on faisait partie des meubles, on avait notre table réservée." Sa robe de bal est soigneusement rangée à la cave.

Exceptionnellement, elle retou...sants de la région.

Exceptionnellement, elle retourne Chez Totor avec Bernard et Danielle, ses amis qui l'emmènent danser tous les dimanches dans des thés dansants de la région.

"C’est rare de pouvoir danser avec un homme marié. Mais Danielle permet à Bernard de m’inviter. Et je n’irais jamais danser avec lui si elle n’était pas là !"

Marcelle, l'épouse de Totor, et Nathalie, leur fille, derrière le bar. Totor : " Le samedi, quand c'était des orchestres de musette, la fréquentation avait baissé. C'est ma fille qui a ramené la flamme à la bougie. Il faut laisser faire les jeunes, il faut suivre son temps. Grâce aux soirées clubbing qu'elle a mises en place, maintenant, on refuse du monde les vendredi et samedi soirs, on trie la clientèle! "

Totor et Marcelle, son &ea...cute;tait la grange."

Totor et Marcelle, son épouse, derrière le bar, avant qu'il ne prenne ses couleurs vives actuelles.
Totor : "Ma grand-mère était maquignonne, marchande de bétail. Elle avait ouvert un petit café pour signer les affaires. Dans la cuisine, c'était l'écurie des chevaux, et le dancing, c'était la grange."

"Je ne suis pas prétentieux, mais parfois, j'observe et je me dis que je me suis bien démerdé quand même avec le peu de bagages que j'avais. Moi, j'ai appris sur le tas. L'école hôtelière, c'était pour les gens de Paris qui avaient de l'argent."

Totor, est un grand fan de muse...s, il en possède 70.

Totor, est un grand fan de musette… et de cravates, il en possède 70.

"J’avais envie d’une cravate avec un accordéon, mais ça n’existait pas. La fille d’une amie, styliste, m’a fait la surprise de me la dessiner sur mesure, avec l’accordéon de Fabrice Peluso, que j’aime beaucoup."

Le petit dancing est situ&...r place à la danse.

Le petit dancing est situé à Publier, un village de 7.000 âmes, sur les hauteurs du lac Léman. A 15 heures, les rideaux se ferment, le jour s’éclipse pour laisser place à la danse.

Robert frôle les 80 ...amp;eacute;ressants."

Robert frôle les 80 ans. Après une vie active parisienne et un divorce, il est rentré dans sa Haute-Savoie natale. Il vient très régulièrement Chez Totor. "Je vais Chez Totor pour me dérouiller les jambes et garder des contacts. C’est un non-évènement, un rituel désuet. On voit toujours les mêmes, on s’assoit toujours au même endroit, mais sur 50 personnes, il y a toujours des gens intéressants."

Robert : "Je recherche plutôt une complicité avec une femme, mais je ne compte pas la trouver dans un endroit comme ça."

Robert vit seul dans son chale...urrais pas le faire."

Robert vit seul dans son chalet qu’il a fait construire il y a six ans, dans un petit village en basse montagne, à quelques kilomètres de Chez Totor. "La religion occupe beaucoup mes journées, je suis en quête spirituelle. Pour ça, il faut être dans la solitude et dans le silence. Là, j’y suis. Si je vivais avec une femme, je ne pourrais pas le faire."