Sur les pas de Gabriel
Gabriel Charité et sa famille ont fui la République dominicaine en juin 2015 par peur des violences contre les Haïtiens. Ils ont franchi la frontière haïtienne et se sont installés à Anse-à -Pitres dans un camp de rapatriés, comme des milliers d'autres immigrés irréguliers. Face au chômage et à tous les besoins auxquels il fait face, Gabriel reprend chaque jour, malgré les risques, le chemin de la ville qu"˜il a dû fuir quelques mois auparavant.
Tête baissée, Gabriel Charité suit machinalement la terre blanche sous ses bottes en caoutchouc pour continuer d'avancer dans la pénombre. Depuis trois mois, cette petite route dans la forêt frontalière dominicaine est pour cet homme de 27 ans, une routine. Tous les jours, il traverse la frontière et parcourt à pied les 12 km qui le séparent de la Finca Rosa, la plantation de café où il travaille, dans la ville dominicaine d'Aguas Negras. Une journée de travail de 8 heures l'y attend.
Gabriel vit au camp de rapatriés de Tête-à -l'eau à Anse-à -Pitres avec sa femme Jolène, sur le point d'accoucher de leur premier enfant. Dernièrement, les réveils de Gabriel se font plus agités. Pas seulement qu'il craigne la présence éventuelle d'agents frontaliers dominicains embusqués dans les haies sombres : l'idée de perdre le peu qu'il gagne si Jolène venait à accoucher un matin de travail l'angoisse. Une journée lui rapporte 200 pesos, un dixième des frais pour l'accouchement et le travail est devenu rare.
Natif de Bodarie dans la commune haïtienne de Grand Gosier, Gabriel a immigré en République dominicaine à l'adolescence. La sécheresse et les pertes successives de récoltes dans sa province natale l'avaient poussé au départ. Il a vécu dans les villes dominicaines de Jimani, Limòn, Pedernales, Aguas Negras.
La vie du couple Charité a basculé en juin 2015 quand, en toute hâte, les deux jeunes gens ont dû fuir Aguas Negras et tout ce qu'ils y avaient construit. Avec la fin du Plan national de régularisation des étrangers (PNRE) en République dominicaine, les actes de xénophobie et d'antihaïtianisme chez certains civils dominicains ont augmenté, raconte t-il. Les menaces de lynchage dans les petites villes comme Aguas Negras semblent avoir atteint leur objectif. C'est pour parer aux représailles que Gabriel et Jolène, comme des milliers d'autres familles d'immigrés haïtiens irréguliers de la province de Pedernales, sont revenus en Haïti. Les six camps de fortune de la commune d'Anse-à -Pitres accueillent plus de 587 familles de rapatriés haïtiens de la République dominicaine.