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Barça ou Barsakh
L'histoire remonte à plus de deux ans mais elle est toujours d'actualité. Il fait chaud lorsque nous arrivons au village de Gantour pour y rencontrer Arouna MBENGUE, cultivateur d'oignons. Fin 2021, Arouna et d'autres familles ont perdu onze fils dans le naufrage de leur embarcation alors qu'ils tentaient d'atteindre les îles canaries. Le sien s'appelait Abdou et il n'avait que vingt ans.
Pendant plusieurs années, Arouna et son fils discutaient de son départ mais ils avaient décidé de faire cela dans les règles alors ils avaient entamé ensemble les démarches pour qu'Abdou obtiennent une pièce d'identité et un passeport. Les papiers en poche, il fallait ensuite demander le visa et engager de nouvelles dépenses. Mais au même moment la pompe solaire installée l'année précédente cesse de fonctionner et c'est toute la récolte qui est en péril. Face aux difficultés Arouna tente de raisonner son fils qui envisage maintenant le voyage en pirogue et cherche un acheteur pour revendre une partie de son terrain.
Mais lassé d'attendre et poussé par ses amis qui comme lui veulent partir, Abdou décide de partir et son père accepte de l'aider. Plus de deux ans ont passé depuis qu'il a appris la triste nouvelle mais Arouna ne regrette rien. "Si je devais recommencer je ferais pareil". Il serait d'ailleurs prêt à aider, Ibrahim son fils de 16 ans si celui-ci suivait le même chemin que son frère.
Lorsque je le rencontre, il travaille dans les champs d'oignons de la famille sous un soleil de plomb. Deux seaux à la main, il arrose toute la journée une par une chaque parcelle. Il s'arrête pour parler de son frère et de son désir d'ailleurs. Est il prêt au voyage alors que son frère y a laissé la vie? "Oui" me répond il tout simplement. "Il faut comprendre le désespoir qui aujourd'hui habite la jeunesse des villages et des villes. Ils souhaitent vivre comme en Europe que ce soit financièrement mais aussi parce qu'ils souhaitent être plus libres".
Barça ou Barsakh
Le matin tu te lèves à l’aube, tu regardes le soleil, celui qui te suivras tout au long de ta dure journée de labeur,
c’est lui qui te dictes les heures, alors que tu imbibes d’eau cette terre nourricière,
mais te nourrit elle encore cette terre?
N’est ce pas la même que ton frère a fui trois ans auparavant, celle qui l’a amené vers le Barsakh alors qu’il ne rêvait que de Barça?
A la terre il avait préféré l’eau,
A l’immobilité et la stabilité, il a préféré le voyage et l’aventure,
Mais elle était celle dont on ne revient pas,
Maintenant je vois le visage de ton frère sur ses papiers, ceux qu’il n’a même pas emporté, comme s’il savait qu’il devait nous rester quelque chose de lui, une image sans âme pour nous souvenir d’un homme parti trop tôt
Lorsque je te parle, toi, ce frère oublié, tu redis ton envie de partir,
Tu penses que le voyage t’apportera travail, richesse et espoir,
Tu ne veux pas entendre lorsque je te parle de tous ces destins brisés en pleine mer et qui parfois atteignent nos rivages, mais dont l’âme les a quitté,
Barça ou Barsakh, ton choix est fait, Il n’y aura pas de retour en arrière,
Alors je te laisse là, à l’ombre de cet arbre, sur ta terre abandonnée,
Je croise une dernière fois ton regard, me demandant si la prochaine fois que je viendrais, je t’y trouverais
ENGLISH- The Story of Arouna MBENGUE and His Sons: A Tale of Hope and Loss
The story dates back over two years, yet it remains tragically relevant. It’s sweltering as we arrive in the village of Gantour to meet Arouna MBENGUE, an onion farmer. In late 2021, Arouna and several other families lost eleven sons in a boat capsizing as they attempted to reach the Canary Islands. Among the lost was Abdou, Arouna’s 20-year-old son. For years, Arouna and Abdou had discussed his departure. They wanted to do everything by the book, so they began the process of obtaining Abdou’s identification card and passport. With the documents in hand, the next step was to apply for a visa, requiring further expenses. But around that time, the solar pump installed the previous year broke down, jeopardizing their entire harvest. Faced with these challenges, Arouna tried to dissuade his son, who now leaned toward taking the perilous journey by boat and sought a buyer to sell part of the family’s land. Eventually, pressured by friends eager to leave and impatient with the bureaucratic delays, Abdou decided to go. Reluctantly, his father helped him prepare for the journey. More than two years have passed since Arouna received the devastating news of his son’s death, but he holds no regrets. “If I had to do it again, I would,” he says. He is even prepared to help his 16-year-old son, Ibrahim, if he chooses to follow his brother’s path. When I meet Ibrahim, he is laboring under the scorching sun, watering the family’s onion fields one plot at a time with two buckets in hand. He pauses to speak about his brother and his yearning for a better life. Is he prepared for the same journey, even though his brother lost his life to it? “Yes,” he answers simply. “You have to understand the despair that grips today’s youth in villages and towns. They want to live like in Europe—not only financially but also for the freedoms they see there.”
Barça or Barsakh: A Reflection
At dawn, you rise to greet the sun,
That relentless companion of your grueling day,
It dictates your hours, as you drench this nurturing earth,
But does it still nourish you, this earth?
Is it not the same soil your brother fled three years ago,
The soil that led him to Barsakh when he dreamed only of Barça?
He chose water over land,
Adventure and uncertainty over stillness and stability.
But it was a journey from which he would not return.
Now, I see your brother’s face on papers—
The documents he didn’t even take with him,
As if he knew something of himself had to remain,
An image without a soul, to remember the man who left too soon.
When I speak to you, forgotten brother,
You repeat your desire to leave.
You believe the journey will bring you work, wealth, and hope.
You turn a deaf ear when I speak of broken destinies,
Of lifeless bodies washing ashore. Barça or Barsakh—your choice is made.
There will be no turning back.
So I leave you there, under the shade of a tree,
On this forsaken land.
I meet your gaze one last time,
Wondering if, the next time I return,
You’ll still be here.
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